Une horizontalité à tout crin est-elle soutenable ?

L’accélération du processus d’individuation nous conduit aujourd’hui à une crise majeure, celle de la légitimité du pouvoir quel qu’il soit. Chacun veut avoir son mot à dire et revendique que sa parole soit écoutée dans toutes les décisions qui le concernent. Au niveau collectif, cela se traduit par une demande croissante de démocratie participative. Vrai progrès ou retour en arrière ? Les mouvements sociaux récents – les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit debout – reproduisent en effet le modèle des anciennes tribus africaines, où les problèmes étaient débattus par l’ensemble des villageois et aucune décision prise tant qu’il n’y avait pas unanimité, au risque de laisser s’enliser une situation.

Le processus d’individuation, pour la raison même qu’il est un processus et non un état défini, comporte de nombreuses étapes, dont celle de l’individualisme, la plus critique parce que la plus dangereuse pour soi-même et les autres, étape à laquelle se situe une majorité d’entre nous aujourd’hui. Une des caractéristiques de l’individualisme, outre son penchant à croire que sa manière de voir les choses est toujours la bonne, est qu’il se satisfait de cette pseudo-liberté qui est la liberté de consommer et de jouir des objets de la consommation marchande, notion qui recouvre pratiquement tout le spectre de nos désirs. Tant qu’il n’est pas entravé dans ce désir de jouissance, peu importe à l’individualiste qu’il soit en réalité sous le joug d’un puissant pouvoir occulte – occulte parce qu’invisible – des multinationales qui ne servent d’autres intérêts que les leurs. Et s’il se sent menacé dans la perspective de cette jouissance – par « ces immigrés qui nous  prennent nos emplois », par exemple – il peut être tenté par un vrai pouvoir autocratique qui le rassurera d’autant plus qu’il est visible, au prix de perdre une vraie liberté chèrement conquise.

Lorsque le processus d’individuation a dépassé le stade de l’individualisme, le centre de l’attention se déplace de l’individu au groupe, ce n’est plus l’intérêt personnel et immédiat qui est au premier plan de la conscience, mais le bien commun et le temps long. Dans un groupe de personnes réellement individuées (mais qui se trouvent toujours à des stades différents puisque le processus d’individuation est un processus exponentiel), chacun est capable de reconnaître ses propres limites et s’en remettra volontiers à la connaissance et au jugement d’un autre plus éclairé. La véritable individuation est humble car elle a conscience du chemin déjà parcouru et du chemin qui reste ouvert devant lui. Un groupe d’êtres individués a un sens inné d’une hiérarchie de la conscience (et de la responsabilité qui s’ensuit) et cette verticalité de l’inspiration d’une conscience éclairée ne lui posera aucun problème. D’où la vision d’un gouvernement de sages qui habitait les anciens philosophes grecs. Un idéal qui semble encore bien éloigné…

Publié le : 25/05/2016

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