Avons-nous besoin de maîtres à penser ?

Cette expression fait référence à une personnalité, le plus souvent charismatique, qui a marqué son époque par son œuvre, qui par son talent et l’ampleur de son savoir est capable de faire école, c’est-à-dire d’incarner un modèle dont s’inspireront de nombreux « disciples ». L’injonction de penser par soi-même propre à notre époque semble aller de pair avec celle de refuser à un autre, aussi brillant soit-il, le statut de « maître à penser ». Mais penser par soi-même, cela ne nécessite-t-il pas au préalable un apprentissage ?

D’après certains philosophes, le meilleur moyen d’entrer en philosophie est d’étudier l’œuvre complète d’un auteur. On pourrait dire la même chose de n’importe quelle discipline ou champ d’étude–sociologique, psychologique, anthropologique, etc.- poussé au plus loin, car en suivant ainsi le fil de la pensée d’un auteur on en découvre toutes les arcanes, toutes les subtilités de son articulation, la richesse infinie de son argumentation, en même temps que l’on goûte au bonheur de pénétrer dans un champ de connaissance plus vaste et d’aboutir, au terme de notre effort intellectuel, à une clarté mentale qu’on n’aurait pu imaginer jusque-là. Lorsque, au fil de ce voyage, on découvre en plus de profondes affinités entre la pensée de l’auteur et notre propre sensibilité, il se créé un lien fait à la fois de reconnaissance, de gratitude et d’amitié profonde. On vient de reconnaître, pour un temps du moins, son maître à penser.

Est-ce que cela nous empêche pour autant de penser par soi-même ? Comment pourrions-nous penser à partir de rien ? Et combien serait pauvre une pensée qui ne disposerait que de très peu d’éléments pour se nourrir ? Tous les grands penseurs ont d’abord été, et restent le plus souvent à vie de grands lecteurs, dont le besoin de comprendre reste à jamais insatisfait et la curiosité insatiable. Aucune génération n’est jamais laissée dans le vide –comme certains ont tendance à le penser- la chaîne de la transmission de la connaissance a toujours existé et reste vivante. Soyons-en heureux.

Publié le : 22/07/2015

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