L’amour passion, un modèle de société ?

Vu de l’étranger, la France offre un curieux paradoxe. Considéré comme le pays des Lumières, donc du culte de la raison, elle serait aussi celui qui cultive le plus l’amour romantique ou l’amour passion, jolis mots qui recouvrent en réalité le droit de posséder l’autre comme on possède un objet. Preuve en est la grande tolérance accordée aux crimes passionnels, une tendance exacerbée récemment par un fait divers qui a fait couler beaucoup d’encre. Après qu’une femme ayant subi des années durant des violences physiques de la part de son époux le tue de sang-froid, une association s’est créée pour faire entrer ce genre de crime dans une catégorie « passionnel à retard », c’est-à-dire toujours passionnel. Parce ce que tu m’as fait subir tout ce que j’ai subi, j’ai le droit de te tuer. Comme si la société n’offrait pas d’autre alternative que la relation fusionnelle « à la vie, à la mort ».

La psychologie a largement mis au jour le caractère illusoire de l’amour passionnel sous son angle plaisant – ces bulles de champagne émotionnelles qui pétillent le temps que dure le mirage, entre deux mois et deux ans selon les spécialistes. Ce type de magie amoureuse préside à beaucoup de rencontres mais ne peut déterminer à elle seule la qualité d’amour véritable entre deux êtres, qui se révèlera au fil du temps. Il reste à la psychologie de présenter au grand public le côté ombrageux de la passion amoureuse, que le temps, loin de jeter une lumière libératrice, ne fait que renforcer à mesure que s’efface toute notion d’amour pour ne laisser place qu’à la passion froide de l’attachement exclusif. Ce cannibalisme affectif est une des plus grandes sources de violence actuelle dans nos sociétés, une violence le plus souvent parfaitement invisible et inconsciente.

La langue française manque curieusement d’imagination et de perspective pour exprimer toute la richesse et les nuances d’une idée pour laquelle elle ne connaît qu’un seul mot, amour, quand la Grèce antique en utilisait une dizaine pour indiquer tous les paliers de la conscience sur lesquels l’amour peut se décliner. C’est à cette connaissance qu’il nous faut puiser pour comprendre qu’il existe un au-delà de l’amour passion, une joie de la rencontre authentique libre de toute projection, que les Grecs nommaient philia ou amour – amitié.

Publié le : 02/03/2016

Haut de page

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *