Sommes-nous tous des aliénés consentants ?

Partout dans le monde, l’aspiration à la liberté est aujourd’hui plus forte que jamais, à la fois au niveau des sociétés –désir de démocratie, et des individus. Parallèlement, toutes les formes de notre asservissement sont pointées du doigt, comme le montre le succès actuel de l’emblématique « Discours de la servitude volontaire » de La Boétie, qui n’a jamais été autant discuté tant il est évident que les mécanismes de notre aliénation sont restés les mêmes qu’en ce XVIe siècle encore nettement féodal.

En effet, loin de nous avoir affranchis de la tyrannie, nos démocraties en ont seulement changé le visage : la domination n’est plus politique mais économique et technologique. Aujourd’hui le tyran a pris la forme dématérialisée du couple marché/technosciences et, comme le fait remarquer le philosophe et psychiatre Miguel Benasayag, notre drame contemporain est que le tyrannicide est devenu impossible, car comment tuer quelque chose qui n’a pas de corps.

Mais une source majeure d’aliénation de type féodal, très peu évoquée dans les analyses (soumission inconsciente aux tyrans ?), reste aujourd’hui l’entreprise –privée ou de l’Etat-, toujours construite sur le modèle hiérarchique féodal en ce qui concerne son articulation interne, et de plus en plus esclavagiste dans son exigence de productivité effrénée avec l’effondrement du contre-pouvoir des syndicats. Tous les mécanismes dénoncés par La Boétie y sont à l’œuvre : « le tyran asservit les sujets les uns par les autres » par des pressions hiérarchiques en cascade et la complicité des dominés qui se complaisent à s’espionner mutuellement dans l’espoir d’obtenir des faveurs.

Autant que les objets connectés et les addictions qu’ils engendrent, l‘entreprise telle qu’elle est conçue actuellement est une source d’aliénation. Le travail esclavagiste est l’ennemi de notre liberté sous couvert de nous la donner (faut-il rappeler le slogan des plus grands tyrans que la modernité ait engendrée : « arbeit macht frei » -le travail rend libre). Les sociétés avancées offrent déjà une plage de liberté – par les moyens d’assistanat tant décriés par les tenants du système féodal – à ceux qui ont le courage de renoncer à l’avoir pour l’être, aux plaisirs inutiles pour l’épanouissement intérieur. Car quelles que soient les conquêtes futures de notre légitime soif de liberté, il ne faut pas oublier que tout a un prix. Comme le dit la sagesse populaire : on ne pourra jamais avoir le beurre et l’argent du beurre.

Publié le : 17/06/2015

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